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Mesures clés pour l'emploi: comparaison des différentes réponses européennes

Des concessions sont-elles attendues des entreprises en échange des mesures spéciales accordées par le gouvernement ? Les plans de licenciements doivent-ils être suspendus durant la crise liée au Covid-19 ? Comparaison, par les meilleurs cabinets d'avocats européens, de certaines mesures clés pour l’emploi adoptées en Europe en réponse à la pandémie

Des concessions (non liées à des licenciements) sont-elles attendues des entreprises en échange d’un soutien financier ou de toute autre mesure spéciale accordée par le gouvernement ?

ROYAUME-UNI (Slaughter and May)

Le 20 mars 2020, le gouvernement britannique a lancé le Coronavirus Job Retention Scheme (CJRS). Le CJRS accorde aux entreprises des subventions couvrant 80 % des salaires (dans la limite de 2.500 £ par employé par mois, plus certaines cotisations de sécurité sociale et de retraite) pour les salariés « mis à pied » du fait de l’épidémie de Covid-19. Le CJRS est administré par le HMRC (l’autorité fiscale britannique). Toutes les entreprises sont éligibles, quelle que soit leur taille, à condition que l’employeur ait un compte bancaire au Royaume-Uni et un système de paie « PAYE » en place au 19 mars 2020. Il n’y a pas de limite au montant du financement disponible. Il a été initialement prévu que le CJRS soit actif jusqu’à fin juin, et soit revu par la suite. Le gouvernement britannique n’a pas indiqué que des concessions étaient attendues de la part des entreprises bénéficiant des subventions du CJRS. Le bénéfice du CJRS n’est notamment pas conditionné au fait de ne pas verser de dividendes, ni à une réduction de la rémunération des dirigeants. Néanmoins, les entreprises bénéficiant du CJRS et qui envisagent de verser des dividendes ou réfléchissent à la rémunération de leurs dirigeants sont déjà impactées par des problématiques liées à leur réputation ou à leur communication.

FRANCE (Bredin Prat)

Le 27 mars 2020, le Ministère des Finances français a déclaré que le bénéfice de mesures favorables en matière d’impôts et de cotisations sociales (paiements différés) serait conditionné à une absence de distribution de dividendes en 2020 pour les sociétés considérées comme de « grandes entreprises ». Les grandes entreprises[1] qui demandent le report de paiement de leurs cotisations sociales doivent s’engager à ne pas verser de dividendes en 2020 à leurs actionnaires, en France ou à l’étranger, et à ne pas procéder à des rachats d’actions ou à des réductions de capital qui ne seraient pas justifiés par des pertes en 2020. Ces conditions sont soumises à certaines exceptions, notamment si la décision de verser des dividendes a été prise avant le 27 mars 2020, ou si le rachat d’actions a été conclu avant cette date. Le non-respect de cet engagement entraînera le remboursement des cotisations de sécurité sociale différées ainsi que des pénalités et intérêts pour retard de paiement.

[1] i.e. en France, une société ou un groupe de sociétés doté d’au moins 5.000 salariés ou dont le chiffre d’affaires consolidé dépasse 1,5 milliards d’euros.

ALLEMAGNE ( Hengeler Mueller)

Aucune concession n’est actuellement attendue des entreprises en ce qui concerne le soutien financier de l’Etat allemand lié à l’emploi (par exemple, allocations de chômage partiel ou possibilité de différer les paiements des contributions employeurs aux organismes de sécurité sociale des salariés). Il en va autrement pour les autres mesures de soutien financier. Différentes mesures de soutien existent en effet en Allemagne, et les restrictions dépendent beaucoup de la mesure concernée. Par exemple, pour obtenir un prêt de la Société Allemande de Prêt à la Reconstruction (Kreditanstalt für Wiederaufbau, KfW), une entreprise doit accepter des restrictions quant au versement de dividendes, de primes, etc. dans l’accord de prêt. En outre, si l’Etat recapitalise une société par actions allemande, le versement de dividendes, etc. est interdit pendant la durée de la période de détention. De plus, les conditions d’application des différentes mesures sont continuellement sujettes à changement. En conséquence, les restrictions potentielles doivent être évaluées au cas par cas, pour la mesure spécifique, au moment où la sollicitation d’une aide financière est envisagée.

ITALIE (BonelliErede)

Aides sous forme de garantie de prêts

Le gouvernement italien a publié un décret prévoyant, entre autres mesures d’assistance, la mise en place de prêts aux entreprise garantis par l’Etat, dans certaines limites et sous certaines conditions. L’un de ces prêts garantis prévoit certaines restrictions liées à l’emploi pour l’employeur y souscrivant. En contrepartie, à partir du 9 avril 2020, les établissements de prêt peuvent temporairement bénéficier (jusqu’au 31 décembre 2020) d’une garantie irrévocable à première demande émise par la SACE S.p.A. (une entreprise publique qui fournit des services financiers et d’assurance pour soutenir les entreprises italiennes) pour couvrir le risque lié à leur exposition aux entreprises touchées par la crise sanitaire causée par le Covid-19. Les employeurs peuvent donc accéder à un prêt garanti par l’Etat (pour une durée maximale de 6 ans), qui devra être affecté au paiement des coûts salariaux, des investissements ou à l’alimentation des fonds de roulement des usines de production ou des activités commerciales situées en Italie. Pour demander un prêt garanti par l’Etat, l’employeur bénéficiaire doit s’engager, entre autres, (i) à ne pas distribuer de dividendes et à ne pas racheter d’actions en 2020 (y compris dans toute autre entreprise située en Italie appartenant au même groupe) ; (ii) à « gérer au niveau de l’activité » par le biais d’accords syndicaux (pour des détails sur cet engagement particulier, voir la colonne ci-contre sur les licenciements).

PAYS BAS (De Brauw Blackstone)

Le 17 mars 2020, le gouvernement néerlandais a annoncé la mise en place d’une mesure temporaire de subvention salariale d’urgence (« NOW »). Dans le cadre de NOW, le gouvernement accordera aux employeurs une subvention pouvant atteindre 90 % des coûts salariaux, proportionnelle à la réduction du chiffre d’affaires de l’entreprise imputable aux mesures de prévention contre le Covid-19. Par exemple, si l’employeur s’attend à une baisse de 60 %, la subvention sera de 54 % (90 % de 60 %). Tous les employeurs peuvent bénéficier de NOW, quelle que soit leur taille, dans les conditions suivantes :

- L’employeur maintient « autant que possible » au même niveau le montant de ses coûts salariaux durant toute la période pour laquelle il reçoit une subvention ;

- L’employeur n’introduit pas de demande de licenciement pour motif économique durant la période pour laquelle la subvention lui est accordée ;

- L’employeur utilise la subvention exclusivement pour le paiement des salaires ; et

- L’employeur informe le comité d’entreprise, la représentation du personnel ou les salariés des subventions accordées.

Le non-respect de ces conditions peut affecter le montant de la subvention. Le gouvernement néerlandais procède à un examen préliminaire allégé de la demande de subvention NOW, afin de faciliter un versement rapide des sommes. La subvention NOW est accordée pour une durée de trois mois, avec une possibilité de renouvellement de trois mois supplémentaires. Après la période de versement de la subvention, un examen complet est rétroactivement effectué. L’employeur doit démontrer la réduction réelle de son chiffre d’affaires. Les grandes entreprises peuvent avoir à fournir un rapport d’audit. Le non-respect de ces conditions peut avoir une incidence sur le montant de la subvention.

ESPAGNE (Uria Menendez)

L’article 34 du RDL 11/2020, modifié par le RDL 13/2020, habilite la Trésorerie de la Sécurité Sociale espagnole à accorder des moratoires de six mois, sans intérêts, aux sociétés et aux travailleurs indépendants affiliés à un régime de sécurité sociale qui en font la demande et qui remplissent les conditions et exigences qui seront établies par arrêté ministériel. Les moratoires, s’ils sont accordés, s’appliqueront au paiement des cotisations de sécurité sociale et des contributions communes dues par l’employeur, dont la période de calcul, pour les entreprises, est comprise entre avril et juin 2020, et entre mai et juillet 2020 pour les travailleurs indépendants, à condition que les activités qu’ils exercent n’aient pas été suspendues en raison de l’état d’urgence. Les entreprises et les travailleurs indépendants, à condition qu’ils ne bénéficient pas d’un autre report, peuvent demander un report de leurs paiements de sécurité sociale dus entre avril et juin 2020, comme le prévoit le règlement de la sécurité sociale, ce qui entraîne l’application d’un taux d’intérêt de 0,5 %. Les demandes de report doivent être présentées dans les dix premiers jours civils de la période règlementaire de paiement indiquée ci-dessus.

Des concessions sont-elles attendues des entreprises en ce qui concerne les plans de licenciement ? Ceux-ci doivent-ils être suspendus durant la crise liée au Covid-19 ? Les licenciements sont-ils interdits pendant cette période ?

ROYAUME-UNI (Slaughter and May)

L’objectif déclaré du CJRS est de soutenir l’économie en protégeant les emplois. Le but de cette politique est d’inciter les entreprises à mettre leurs salariés au chômage partiel plutôt que de les licencier durant cette première phase de la pandémie. Les subventions du CJRS ne peuvent être demandées que pour les salariés conservant leur emploi. Le CJRS ne peut servir à financer les coûts afférents à un licenciement. Il n’existe actuellement aucune mesure empêchant un employeur de licencier les salariés qui n’ont pas été mis au chômage dans le cadre du CJRS. Ceci étant, l’existence du CJRS a permis jusqu’à présent d’empêcher un nombre important de licenciements liés au Covid-19 au Royaume-Uni. Reste à voir si l’existence du CJRS va amener les salariés licenciés à contester le bien-fondé de leur licenciement en se fondant sur l’existence de cette alternative. Ce n’est toutefois pas un des objectifs de cette mesure gouvernementale.

FRANCE (Bredin Prat)

Mi-mars, le gouvernement français a initialement annoncé que tout licenciement résultant du Covid-19 serait interdit. À ce jour, il est toutefois toujours possible de mettre fin aux contrats de travail. En tout état de cause, la pandémie de Covid-19 ne semblant pas constituer un cas de force majeure au regard du droit du travail français, les critères juridiques régissant les licenciements pour motif économique doivent encore être respectés.Des restrictions à la mise en œuvre de licenciements collectifs ne peuvent exister que si l’entreprise a bénéficié d’un régime de cessation partielle d’activité à deux reprises en 36 mois, ou si l’employeur s’est engagé par accord collectif à ne pas procéder à des licenciements collectifs moyennant certaines concessions de la part de ses salariés (augmentation de la durée du travail, réduction des salaires, etc.).

ALLEMAGNE ( Hengeler Mueller)

En ce qui concerne les licenciements, les dispositions légales générales relatives au licenciement des salariés en Allemagne s’appliquent. Aucune disposition facilitant, interdisant ou exigeant des concessions de la part de l’employeur en matière de licenciements n’est en place, ni n’est prévue, en raison de la pandémie de Covid-19. En détail : les licenciements pour motif opérationnel (betriebsbedingte Kündigungen) sont soumis à des exigences assez strictes et ne seraient possibles que si le manque de travail n’est pas seulement temporaire. La rupture du contrat avec offre de modification des conditions de travail (Änderungskündigung - par exemple, afin de diminuer le temps de travail et/ou le salaire) est également soumise à des exigences très strictes et n’est possible que dans des cas exceptionnels.Si un comité d’entreprise existe, il doit être impliqué lors de la rupture des contrats de travail. En particulier, en cas de licenciements collectifs massifs et de fermetures, un compromis d’intérêts et un plan social doivent être négociés avec le comité d’entreprise.

ITALIE (BonelliErede)

Selon les mesures introduites par le gouvernement, pendant une durée de 60 jours à compter du 17 mars 2020, les employeurs ne peuvent engager de procédures de licenciements collectifs. Les procédures en cours engagées après le 23 février 2020 sont quant à elles suspendues pour la même durée. Durant cette même période, les employeurs ne peuvent pas procéder à des licenciements individuels pour motif économique. Cette disposition ne s’applique (vraisemblablement) pas aux employés ayant le statut Cadre (dirigenti). En outre, cette disposition n’empêche pas les licenciements pour motif disciplinaire. Après cette période, à moins que ces interdictions ne soient prolongées, les employeurs pourront à nouveau procéder à des licenciements individuels et collectifs. Ces dispositions s’appliquent à tous les employeurs en général, peu important qu’ils bénéficient d’un soutien financier quelconque ou de toute autre mesure spéciale. Les dispositions relatives aux systèmes de licenciements d’urgence Covid-19 n’interdisent actuellement pas expressément le licenciement individuel ou collectif après le 17 mai. Enfin, comme indiqué dans la colonne ci-contre, l’octroi de certains prêts garantis par l’Etat est conditionné à un engagement de « gérer au niveau de l’activité » par le biais d’accords syndicaux. Il s’agit d’une exception au régime ordinaire, selon lequel les licenciements collectifs, s’ils nécessitent l’implication des syndicats, ne sont toutefois pas conditionnés à la conclusion d’un accord syndical (en l’absence duquel l’employeur peut donc signifier les licenciements). La formulation de la loi - « gérer au niveau de l’activité » - est assez générique. S’il semble clair que cette disposition exige la conclusion d’un accord syndical relatif aux licenciements collectifs, des doutes peuvent surgir en ce qui concerne les licenciements individuels. En l’absence de toute interprétation officielle, il est toutefois possible d’interpréter ce texte de la manière suivante :

Un licenciement unique pour motif économique prononcé sans accord des syndicats ne devrait pas constituer une violation de la loi ;

Un nombre plus élevé de licenciements - qui, bien qu’inférieur au seuil des procédures de licenciements collectifs (i.e. moins de 5 licenciements en 120 jours), a néanmoins un impact au niveau de l’activité – pourrait être considéré comme une violation de cette disposition.

PAYS BAS (De Brauw Blackstone)

Si un employeur a l’intention de mettre fin à un contrat de travail pour motif économique, la procédure obligatoire consiste à déposer une demande d’autorisation de licenciement auprès de l’UWV (autorité gouvernementale du travail) indiquant qu’il existe un motif légal raisonnable (i.e. économique) de licenciement. L’une des conditions pour pouvoir bénéficier de NOW (mesure temporaire de subvention salariale d’urgence) est, pour l’employeur, de s’engager à ne pas licencier de salariés pour un motif économique durant toute la période pour laquelle la subvention est accordée. Après le 17 mars 2020, pendant la période subventionnée, l’employeur ne peut pas effectuer de demande d’autorisation de licenciement pour motif économique auprès de l’UWV, conformément à l’article 7:669(1)(a) du Code civil néerlandais. Si l’employeur licencie malgré tout un salarié pour motif économique avec autorisation de l’UWV, la subvention versée au titre de NOW sera diminuée à titre punitif : 150 % du salaire du salarié licencié sera déduit du total des coûts salariaux éligibles à l’indemnisation sur la base de NOW. Si la demande de licenciement a été déposée pendant la période subventionnée, après le 1er avril 2020, l’employeur devra également démontrer au UWV que le licenciement ne peut pas être évité en utilisant la subvention NOW. Pour ce qui est des demandes de licenciement déposées avant le 2 avril 2020, l’UWV ne tient pas compte de la subvention NOW lors de l’évaluation de la demande de licenciement pour motif économique.

ESPAGNE (Uria Menendez)

Aucune disposition facilitant ou interdisant les licenciements n’est mise en place ou prévue en raison de la pandémie de Covid-19. Ni la force majeure, ni les raisons économiques, techniques, organisationnelles et de production résultant de la crise sanitaire liée au Covid-19 ne seront considérées comme une justification valable pour rompre un contrat de travail ou licencier un salarié. Par conséquent, en pratique, les plans de licenciement sont interdits au moins pendant l’état d’urgence (actuellement, jusqu’au 9 mai 2020). En revanche, les mises au chômage temporaire (« ERTE » selon l’acronyme espagnol) ont été encouragées. En substance, il est possible de diviser les ERTEs en deux types : (i) les ERTEs pour cause commerciale (i.e. motifs économique, technique, organisationnel ou de production) ; et (ii) les ERTEs pour cas de force majeure. La principale différence entre ces deux types réside dans l’obligation, pour les ERTEs pour cause commerciale, d’organiser une période de consultation des représentants du personnel. Au contraire, pour les ERTEs pour cas de force majeure, c’est l’autorité chargée de l’emploi qui décide si les conditions de la force majeure sont remplies, sur la base des documents soumis par l’employeur pour justifier la mesure entreprise.  titre exceptionnel, pendant la durée de la crise Covid-19, les salariés concernés par une ERTE ont le droit de demander des allocations chômage, même s’ils ne remplissent pas les conditions normales d’ouverture des droits, et rien de ce qu’ils touchent durant la crise Covid-19 n’affectera leurs droits par la suite. En d’autres termes, ils n’épuiseront pas leurs droits durant cette période (article 25 du RDL 9/2020). Ces salariés ont droit, dans un premier temps, à 70 % de leur base de cotisation à la sécurité sociale, puis à 50 % de celle-ci si/quand ils atteignent 181 jours de chômage. Les entreprises peuvent compléter ces prestations.

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