Les entreprises doivent déjà s'atteler à préparer les conditions d'une reprise d'activité à compter du 11 mai. Benoit Serre, vice-président de l'ANDRH, délivre ses recommandations à destination des employeurs afin d'assurer un déconfinement en toute sécurité et un retour au travail des salariés dans un climat social apaisé.
Alors que la date de déconfinement annoncé par Emmanuel Macron approche, Benoît Serre, vice-président de l'ANDRH, détaille la manière dont les entreprises doivent dès à présent préparer la reprise du travail sur site.
Quelle est la priorité pour les entreprises alors que la date du déconfinement approche ?
La première mesure afin d'assurer un déconfinement dans les meilleures conditions vise l'assainissement et la décontamination des locaux de travail. Les entreprises doivent veiller à rouvrir des locaux qui ne sont pas contaminés, soit parce qu'ils ont fait l'objet d'un nettoyage complet, soit parce qu'ils étaient fermés depuis deux mois. Elles vont devoir aussi assurer la mise à disposition de gels hydroalcoolique et de masques, si le gouvernement le prescrit. Dans tous les cas, les entreprises doivent garantir aux salariés que les locaux de travail sont sains et cette exigence doit être assurée dans le temps.
Le gouvernement doit délivrer ses recommandations précises pour le déconfinement d'ici une quinzaine de jours, les entreprises peuvent-elles tout de même commencer ce travail ?
Je pense même que les entreprises ont un intérêt à se préparer dès maintenant au déconfinement en fixant leurs propres règles avant même que le gouvernement ne précise ses recommandations même si on en connaît déjà certaines. Des entreprises ont déjà conclu des accords de reprise. Le déconfinement sera de toute façon progressif mais il revient à l'entreprise seule de déterminer la date de retour sur site en fonction des caractéristiques de l’activité, du nombre de personnes, de la configuration des locaux. D’ores et déjà, faire revenir massivement les salariés dès le 11 mai dans une tour de La Défense semble impossible pour des raisons de sécurité sanitaire mais aussi de place et sans doute d’opportunité.
Les entreprises doivent au préalable établir un diagnostic physique : les endroits à risques, la configuration des locaux ; elles doivent tout reconsidérer et réorganiser les locaux afin de réduire le risque de recontamination. C'est notamment la question des open-spaces qui se pose et du nombre de postes qu'il est possible d'installer. Il y a également tous les aspects logistiques. Les entreprises doivent définir des règles de circulation dans l'entreprise, afin de les réduire le plus possible, se poser la question des restaurants d'entreprise et des conditions sanitaires dans lesquelles ils pourront rouvrir, s'interroger sur la reprise ou non des voyages, des déplacements d'un site à l'autre, des réunions,... Il s'agit d'une vraie réorganisation, humainement et opérationnellement, car nous ne savons pas combien de mois cela peut durer.
Elles doivent aussi établir un diagnostic opérationnel : quels sont les services dont la présence physique est indispensable ? Est-il possible d’avoir des services pour partie présent et pour partie à distance ? Quel rythme est nécessaire pour accompagner la reprise sur les projets, l’activité ? Le maintien dans le temps de collaborateurs en télétravail est-il pertinent vu les limitations de circulation dans les locaux et leur impact sur la réalité de la collaboration et des échanges ?
Au-delà des conditions collectives de retour sur site, il faut définir des conditions individuelles : qui pourra entrer et sortir de l'entreprise et dans quelles conditions, avec la question des personnes extérieures à l'entreprise et des clients ? Quelle gestion des espaces communs ? Dans le jugement Amazon, le portique d'entrée a fait débat car, selon les juges, il ne permettait pas d'assurer la santé et la sécurité des salariés.
Le déconfinement va-t-il obliger les entreprises à revoir le "vivre ensemble" ?
Elles vont être confrontées à la question de savoir comment arriver à produire le plus normalement possible en mêlant des populations aux statuts différents pendant une période transitoire : les salariés qui sont sur site, ceux qui restent en télétravail, ceux qui reviendront de chômage partiel qui a priori iront sur site aussi. L'entreprise va devoir gérer un corps social éclaté et s'atteler à retrouver une communauté de travail, un collectif de travail qu'il a été parfois difficile de maintenir pendant la période de confinement. Elle va devoir reconstituer un corps social en tenant compte du fait que les salariés sont parfois épuisés par la crise, qu'ils travaillent à un niveau de stress élevé pour ceux qui sont sur site, que ceux qui télétravaillent, travaillent plus et de manière tendue dans des conditions de confinement difficiles. L'entreprise doit aussi intégrer l’inquiétude des salariés pour leur emploi vu les conséquences économiques annoncées partout. Il va falloir recréer une dynamique managériale, préciser rapidement quels sont les projets maintenus ou non ; il ne s'agit pas que d'une affaire de dirigeants. Y réfléchir dès à présent c'est autant de temps gagné lorsque le déconfinement aura lieu car pour que les salariés se réengagent, il sera nécessaire de leur donner une vision des prochains mois au moins.
Vous n'êtes pas partisan d'un report des congés d'été dans l'optique de relancer l'activité de l'entreprise ?
C’est surtout une question sensible qui peut générer de la tension sociale en plus de la tension économique ; les salariés se demandent à quel moment ils vont pouvoir se reposer, retrouver leurs familles, programmer des vacances. Le dialogue social porte aussi sur ces sujets-là même s’il ne s'est jamais interrompu ; il s'est même modernisé à certains égards. Il faudra trouver des solutions négociées partout où c'est possible et, au mieux, partager l'information avec l'ensemble des acteurs et collaborateurs de l'entreprise. Tout doit être fait pour réduire les causes de tension sociale lors de la reprise car c’est la condition de l’engagement et de la motivation. N’oublions pas qu’au début de cette crise, nous sortions d’une longue période de tension au niveau national.
Pensez-vous que les entreprises pourraient être mises à contribution si un éventuel tracking venait à se mettre en place ?
Pour l'heure, nous n'avons pas plus d'informations, mais on peut penser que les entreprises devront assurer un suivi du tracking au sein de leurs locaux, ce qui soulève des questions d'éthique et de libertés individuelles. On pourrait toutefois envisager une application dédiée à l'entreprise et donc totalement fermée. Un débat au Parlement aura lieu fin avril sur ce sujet et nous saurons alors si ce sujet relèvera des pouvoirs publics ou des organisations.
Après la grève des transports, la crise sanitaire a fortement mobilisé le télétravail. Quels enseignements en tirez-vous ?
Déjà cela ne concerne qu’une partie des salariés car beaucoup de métiers ne sont pas adaptables au télétravail. Cela dit, des salariés n'avaient pas encore découvert les vertus du télétravail (ne pas prendre les transports en commun, etc…). Cette crise pourrait contribuer à faire évoluer le modèle français majoritairement fondé sur le présentéisme et favoriser l’attractivité du télétravail vu des salariés. En télétravail, le décompte en heures est il pertinent ? On voit bien dans la phase actuelle que la charge de travail ne relève que très peu de cette logique d’ailleurs incontrôlable. Du point de vue des entreprises, le développement du télétravail a aussi un intérêt car nous ne sommes pas à l'abri d'autres phénomènes : grèves, intempéries etc. mais on peut y trouver aussi des gains immobiliers par exemple et surtout des conditions rénovées de qualité de vie au travail. Les entreprises ont donc intérêt accélérer leur digitalisation, à réfléchir à leur organisation du travail dans toutes les dimensions et pas seulement du télétravail. La question qui va se poser est de savoir comment aménager le temps de travail en alternant télétravail et présence physique. La tendance pourrait à certains endroits s'inverser : plus de télétravail et moins de présentiel. La question de la mobilité géographique sera regardée avec un autre oeil aussi. On constate aussi que la digitalisation n'est pas forcément un problème intergénérationnel.
Cette crise et ses conséquences sur la "vie au travail" conduira aussi à repenser les compétences manageriales : manager des salariés présents et manager des salariés en télétravail est bien différent et provoquent un haut niveau de sollicitation comme on le voit en ce moment.