LE COVID-19 ET LES RH D'APRÈS | PERSONNEL N°603

Depuis l’annonce du confinement, la plupart des responsables RH se sont employés à gérer tant bien que mal cette crise avec les ressources qu’ils avaient à disposition, tant professionnelles que personnelles. Que réserve l’« après » pour la fonction ? Sur un plan professionnel, passée la période de sidération de l’annonce du confinement, les responsables RH se sont d’abord confrontés à l’urgence de devoir participer à la transformation en un temps record des rythmes, des repères et des organisations professionnelles. 


>> Extrait de la rubrique Actualité du numéro de mai-juin 2020 de Personnel, la revue de l'ANDRH.

À ce chaos (parfois quasi « euphorique »), se sont ajoutés la participation aux cellules de crise, les annonces de mise en place du télétravail massif et/ou de mesures de chômage partiel, l’absence ou l’obsolescence de plans de continuité d’activité qu’il a fallu combler, l’interprétation des décrets qui se sont succédés, l’accompagnement de certains managers – à plus ou moins haut niveau – démunis face à la crise, et de collaborateurs en difficultés, angoissés à l’idée de devoir aller travailler, ou de passer en télétravail de manière aussi brutale, sans outils ni préparation.  

« Si certains responsables RH se sentent reposés, sereins et au clair avec leur rôle, ce n’est pas le cas de la majorité, même si la crise a pu parfois restaurer le sens de l’action pour quelques uns. »

À partir de la seconde semaine, parfois même avant, il leur a fallu participer à la réorganisation progressive et transitoire de l’entreprise, avec une accommodation au changement plus ou moins coûteuse selon les situations. Avec le « confinement durable », la modification de ce qui constitue le cadre de travail et des routines en présentiel a provoqué, pour les personnes les plus fragiles ou les moins « adaptables » (salariés ou managers), des situations à risques et des tensions, qu’il a fallu accompagner. Dans certains contextes, on a même pu voir l’émergence de tensions sociales plus ou moins marquées, avec des partenaires sociaux qui éprouvent eux même un sentiment d’impuissance, et tentent de se réapproprier une place et un rôle dans un contexte de déstabilisation et d’incertitude générale. En terme de ressources personnelles, il a fallu de nouveau se mobiliser. Or le niveau d'énergie n'est plus le même : le covid-19 fait suite aux grèves de décembre, qui elles-mêmes succédaient au mouvement des gilets jaunes. 

En outre, et comme tout un chacun, le responsable RH a plus ou moins bien vécu le contexte de confinement (il n'a pas forcément de jardin, de conjoint pour l'aider avec les enfants etc…),  il a dû lui aussi affronter les vicissitudes du travail à distance (hyperconnexion, confusion des temps de vie, surcharge de travail, interactions multiples engendrant parfois des tensions…) avec à la clé, un risque d’épuisement et de saturation. En outre, certains ont subi directement ou indirectement les conséquences sanitaires de la crise, sans parler de la peur d’attraper le virus, de le transmettre, ou du facteur aggravant que constitue le fait de partager son toit avec une ou des personnes à risques. Bref, si certains d’entre eux, au moment où commence le déconfinement, se sentent reposés, sereins et au clair avec leur rôle, ce n’est certainement pas le cas de la majorité, même si la crise a pu parfois restaurer le sens de l’action pour quelques uns.

D’autant que l’avènement du 11 mai a annoncé un début de déconfinement, mais nullement la fin de la crise sanitaire. Il va falloir vivre avec le Covid-19, la distanciation sociale, et les gestes barrières en situation de travail réel. Ce déconfinement n’annonce pas non plus la restauration d’organisations stabilisées : les collectifs de travail vont demeurer fragmentés avec une partie en télétravail, une autre dans l’entreprise. 

De même, les organisations vont devoir gérer des collectifs de travail diffractés, car tous n’auront pas vécu la même chose pendant le confinement : certains se seront sentis protégés, d’autres non ; mais tous auront changé et devront reprendre leurs marques dans cette « entreprise d’après ». Gageons que là encore, c’est vers les équipes RH que l’on va se tourner pour éviter que des fractures nouvelles se créent ou que d’anciennes se ravivent ou se déplacent, engendrant conflictualités et pertes. 

« En contexte de crise, ceux qui s’en sortent le mieux ne sont pas les moins exposés, ce sont ceux qui sont le plus soutenus. »

Face à cette charge mentale phénoménale que supportent les responsables RH, et face aux risques qu’ils encourent de voir leurs protections individuelles céder sous l’effet du stress amplifié et répété, des multiples sollicitations dont ils font l’objet, voire parfois de l’agressivité qu’ils subissent, il existe un certain nombre de points de vigilance pour le « RH d’après ». Même s’ils n'excluent pas le soutien ou l’accompagnement spécifique qu’un RH peut et même doit s’octroyer -en plus de l’indispensable consultation médicale- lorsque des symptômes surviennent tels que l’insomnie, les troubles du l’humeur, les angoisses fortes et répétées…), ils peuvent l’aider à se préserver. En voici quelques-uns : 

  1. Attention à la sur-adaptation :Un contexte de crise incite à vouloir être à la hauteur, à en faire plus, à chercher à apporter seul et vite une réponse à chaque problème. Or la crise appelle avant tout un fonctionnement en réseau et des réponses globales, co-construites. Pourtant, le vécu d’urgence -particulièrement fort dans la crise- et la dictature de l’immédiateté nous incite à vouloir répondre à tout, pour ne pas nous vivre déficient. Or, c’est justement l’acceptation de nos limites de compétences qui fonde notre efficacité réelle. Elle nous permet de durer dans la complexité et de contribuer efficacement, en évitant les écueils des logiques en silos. En période de crise, le « je ne sais pas » ou le « je ne suis pas encore en capacité de répondre ou de faire cela » sont donc plus qu’acceptables ; ils sont souvent indispensables.

  2. Penser soutien et ressources :En contexte de crise, ceux qui s’en sortent le mieux ne sont pas les moins exposés, ce sont ceux qui sont le plus soutenus. Or, l’idée de demander du soutien et de l’aide est fréquemment ressentie par celui qui l’exprime comme un aveu de faiblesse. Pourtant, c’est généralement en ces occasions, et notamment lorsque la demande est faite au n+1, qu’au-delà d’une écoute et de la reconnaissance des difficultés auxquelles on fait face, on a l’opportunité de discuter de sa place, de son rôle, des moyens que l’on a pour faire sa mission, et donc de négocier d’éventuelles marges de manœuvre ou ajustements induits par le contexte. Et parfois, cela fait la différence.

  3. Enfin, soyons modélisants :
    Faisons aux autres ce que l’on attend que l’on nous fasse. Aidons les managers à rester soutenants, et travaillons avec eux sur leurs propres ressources. De même, temporisons avec nos propres équipes, évitons le discours de l’intensification « pour rattraper le retard » (le meilleur moyen de perdre du temps) dans un contexte où seule la responsabilisation (contrairement à la culpabilisation) permet de mettre les individus en action. 

Car c’est probablement l’un des principaux enseignements que nous allons tirer de cette crise :  les bonnes pratiques sont elles aussi, et c’est heureux, potentiellement contagieuses.