💌 Vous et moi
Je déconfine, tu déconfines, nous déconfinons...Après cette première semaine de semi-liberté, nous nous intéressons à un vieux sujet remis sur le devant de la scène ce Printemps: le télétravail.
🎯 Cette semaine
Métro - boulot - dodo, c’est fini.
Après avoir “lissé la courbe” du COVID pour soulager les services de réanimation, les citoyens sont maintenant appelés à lisser la courbe des heures de pointe pour soulager leurs réseaux de transport collectif. Les règles de distanciation physique imposent aux transports de réduire drastiquement leur capacité (à 25% du niveau normal, voire moins). La conséquence obéit aux lois les plus simples de la physique : si la demande se maintenait à son niveau habituel, la file d’attente de voyageurs s’étendrait sur une distance égale à deux stations de métro ! What would happen if Londoners tried to go back to normal on a socially-distanced Underground?
Il faut donc “agir sur la demande de transport”, c’est à dire limiter à la source le besoin de se déplacer.
Problème : on a jamais fait ça. En période de vaches grasses, les pouvoirs publics étaient là pour répondre à un besoin de déplacement, pas pour le remettre en cause. Quand le piano est éloigné du tabouret, on ne déplace pas le piano : on déplace le tabouret. Tout au plus pouvait-on jouer sur le dosage entre transport public et routier pour éviter le chaos.
Selon la mal connue Constante de Marchetti, les ménages en profitaient pour déménager encore plus loin ou chercher un meilleur travail tout en conservant un “budget temps” constant. L’augmentation des vitesses ne faisait qu’allonger les distances et augmenter l’étalement urbain.
L’action sur la demande - les moments où l’on se déplace, le besoin même de se déplacer - a par conséquent été beaucoup plus timide. Elle a d’abord été impulsée pour des raisons immobilières : à quoi bon acquérir et maintenir des bureaux si vos équipes passent leur temps à l’extérieur ? Chez Capgemini par exemple, il est possible depuis 2011 de télétravailler 3 jours par semaine, voire plus en particulier durant la grossesse. Le flex office s’est généralisé dans les activités les plus tertiaires, personne ou presque n’ayant plus de bureau attitré avec photo des enfants près du téléphone. Pas étonnant que ce type d’entreprises ait surfé sur la crise 9 ans plus tard.
Mais les habitudes ont la vie dure. Le statu quo aurait pu encore durer quelques décennies sans l”irruption des 3 stars planétaires du Printemps 2020 : Corona, courbe et distanciation.
Comme souvent lors des crises, on assiste plus à la révélation d’un phénomène déjà bien entamé qu’à une génération spontanée de comportements nouveaux. L’hôpital a su s’adapter (en France) à l’afflux de malades. L’entreprise a su s’adapter au confinement de ses salariés. Beaucoup de travailleurs ont pu continuer leur activité loin de leurs bureaux et être aussi productifs qu’auparavant, voire même plus.
L’explication est simple : le télétravail n’a fait qu’emprunter des chemins déjà tracés. Les pratiques d’internet à la maison étaient là, l’équipement aussi. Cf. Baromètre du numérique 2019 - CREDOC. La crise a levé les dernières barrières du télétravail, les barrières psychologiques. 41% des actifs franciliens ont télétravaillé pendant le confinement.
Le déconfinement venu, beaucoup de ces employeurs prolongent le télétravail au moins jusqu’à l’été. À quoi bon rouvrir des locaux pour enfermer les salariés dans des bulles, instaurer des sens de circulation et rendre l’accès aux toilettes plus compliqué que l’usage de Chorus Pro ? Ce qui aurait pris des semestres de négociation est décidé en une semaine.
A-t-on atteint un point de bascule ? Facebook et Apple n’envisagent pas de retour des salariés avant 2021. Chez Twitter, le changement sera définitif. Twitter Will Allow Employees To Work At Home Forever
Même chez PSA le télétravail devient la norme. Ce sera désormais 1 jour et demi par semaine au bureau maximum. D’autres devraient suivre si la situation perdure. PSA fait du télétravail la règle, pas l'exception (€)
Bien entendu, il s’agit là de métiers bien particuliers - consultants, ingénieurs, développeurs. Pas de quoi sans doute prédire une exode massive des Franciliens vers les campagnes du Perche ou de la Drome à la rentrée. En revanche, la rupture entre lieu de travail et appartenance à une entreprise pourrait avoir des conséquences plus profondes à moyen terme.
🧐 Et aussi
Un article du VC Ben Thompson a attiré notre attention : le télétravail va-t-il mettre fin à la gentrification des villes ?
Dans The Rise of the Creative Class, Richard Florida liait une certaine forme d'attractivité des villes à la présence des "classes créatives" (artistes, scientifiques, consultants...). Ces catégories sociales ont investi des quartiers centraux souvent populaires pour y implanter leur mode de vie, leur culture et leur consommation. Alors que les industries et même l’artisanat quittaient ces mêmes quartiers. Ce qu'on a appelé communément la "gentrification" a eu pour conséquences négatives l'uniformisation sociale, ethnique et culturelle, au détriment des populations précédentes.
L'investisseur Ben Thompson se demande aujourd'hui si le télétravail des années 2020 ne va pas provoquer une nouvelle "fuite des blancs" (white flight) comme dans les années 70 : libérés des contraintes de la proximité avec leur lieu de travail, où les "travailleurs de la connaissance" vont-ils choisir d'habiter ? En banlieue ? À la campagne ? Près de la mer ? Si l'effet direct sera la baisse du coût du logement, quels seront les effets indirects sur les quartiers délaissés ? Lire : Location and Work
Il faut dire que la situation était pour le moins paradoxale : les entreprises les plus innovantes n’innovaient absolument pas sur la manière de se déplacer pour aller travailler. Dans la Silicon Valley, la concentration des entreprises de pointe posaient des problèmes insolubles d’accès et de hausse des loyers. Les trajets pendulaires de leurs salariés dans des bus privés avait d’ailleurs symbolisé l’absurdité de la situation. Lire : Les laissés pour compte de la gentrification
Maintenant que ces entreprises instituent le télétravail comme une norme, quelles vont être les conséquences pour les quartiers où habitent leurs salariés ? Sur les secteurs où sont implantés leurs sièges sociaux ? Vont-ils continuer à payer des loyers délirants, entraînant une inflation globale des salaires et des prix, s'ils peuvent travailler "de partout" ? On peut faire le même raisonnement, sans doute à une moindre échelle, pour la Défense ou certains quartiers de Paris.
Lire Tech Workers Consider Escaping Silicon Valley’s Sky-High Rents
OoO OoO OoO
Pour prendre un peu de recul, je poserai la question différemment : si l'obligation de présence physique dans un même lieu et aux mêmes horaires disparaît, que restera-t-il aux lieux (professionnels) ? Le networking, la rencontre inopinée, l'inspiration, la créativité, le plaisir d'être ensemble...? Qu'est-ce qui fera encore "entreprise" si faire partie de la même boîte consiste à se connecter à un environnement dans le cloud ?
La question n’est pas tant de savoir si nous retournerons un jour au bureau, mais pour y faire quoi.
🤩 On a aimé
Intéressante étude sur la manière dont les utilisateurs perçoivent internet et le mobile : très positif pour eux, moins positif pour la société. People, Power and Technology: The 2020 Digital Attitudes Report
Ami·e auteur·e, voici un générateur de noms et prénoms français très malin pour vos fictions. Un chouette petit projet comme on les aime. Lorraine Hipseau
Quand Décathlon rime avec location (de vélo). 35 modèles à louer avec assurance. Décathlon change de braquet.
Le meilleur pour la fin…Quand la vie sociale se déplace sur les toits, cela donne ce beau reportage sur les toits de Brooklyn, rythmée par la musique impeccable de Mac Miller. Prenez le temps de fouiller il y a toute une série sur le confinement très sympa. Quarantine in motion - Jeremy Cohen sur Instagram.